Le cheval de guerre du Codex Baranda

 

« Année 13-Roseau jour 1-Silex, les chefs guerriers 2-Fleur et 1-Maison avec la coiffure du temilotl et un capitaine barbu au chapeau à plumes et richement vêtu accompagné de son cheval de guerre doré se sont rencontrés dans une vallée ; ils ont déposé les armes et ont échangé des bijoux en or pour nouer une alliance. Ils ont convenu d’un tribut ».

Un an avant le siège de Mexico Tenochtitlán

Villa Segura de la Frontera (Tepeaca) à 140 km à l’est de Tenochtitlán. Juillet-octobre 1520

Cortés écrit au Roi. Les événements à relater sont nombreux. L’arrivée à Cempoala et la fondation de la Villa Rica de la Vera Cruz, les premiers contacts avec les émissaires du souverain de “Temixtitan”, la traversée du plateau mexicain et la découverte de nombreux royaumes, l’arrivée à Mexico, la rencontre avec Moctezuma (le cortège royal, Cortés descendu de son cheval, les échanges de cadeaux) ; et, alors qu’il était en train d'obtenir une à une les clés du royaume et d’offrir à sa Majesté la plus belle des couronnes… tout bascule.

800 hommes et 80 chevaux à bord de dix-huit vaisseaux commandés par Narvaez et envoyés par le gouverneur de Cuba arrivent à San Juan de Ulua (mai 1520). Si Cortés n’a aucun mal à juguler l’attaque lors d’une contre-offensive épique, entre-temps, c’est l’apocalypse à Mexico.

Le 20 mai, les conquérants espagnols et les alliés indiens massacrent la noblesse mexica dans l’enceinte du centre cérémoniel. Cortés revient et tente de calmer la situation (24 juin). Moctezuma prisonnier n’est plus un gage de survie pour longtemps. Il meurt quelques jours plus tard dans d'obscures circonstances. Les conquérants - au nombre de 1300 - et leurs alliés - 6000 à 7000 hommes - fuient le 30 juin 1520 sous une pluie battante à l’aide d’un pont portatif pour franchir les canaux qui ponctuent la chaussée qui conduit à la terre ferme (par l’ouest). Cette nuit de terreur demeure gravée dans les mémoires comme la Noche Triste. Les pertes humaines et matérielles sont considérables (le premier inventaire établi par Cortés fait état de 150 soldats, 2000 Tlaxcaltèques, 45 chevaux). Il ne reste rien du trésor de Moctezuma ni du Quinto Real. La situation est particulièrement critique.

Cependant, grâce au soutien indéfectible des Tlaxcaltèques, Cortés panse les plaies de cette défaite dans la seigneurie alliée et ne tarde pas à reprendre la main. C’est dans ce contexte que se déroule fin juillet 1520 la campagne de Tepeaca. Enclavée dans une région hostile aux Mexicas, la seigneurie est un relais stratégique de la puissance aztèque d’un point de vue militaire (renforts) et commercial (marché le plus important après Tlatelolco sur la route du Golfe et celle d’Oaxaca-Guatemala).  Entre attaques éclairs (Izúcar, Huaquechula, Tepeaca) et rencontres diplomatiques avec les seigneurs de la région (Tepeji, Coixtlahuaca) venus rendre allégeance au nouveau souverain, Cortés consolide sa position. Il fonde la seconde ville espagnole du Mexique, Villa Segura de la Frontera, écho de son Estrémadure natale, où il installe son quartier général et organise le siège de Tenochtitlán : construction de vaisseaux de guerre, levée d’une armée, approvisionnement en chevaux, ovins et bovins dont il initie l’élevage.

 

Le codex

            Le peintre-scribe du Codex Baranda met en scène la rencontre entre un personnage espagnol de haut rang et deux chefs guerriers mixtèques reconnaissables à leur coiffure relevée en chignon, qui porte en nahuatl le nom de temilotl. Le glyphe accroché à la tête désigne les seigneurs Deux-Fleur et Un-Maison, dont nous ne savons rien par ailleurs. La scène se déroule entre deux vallées. Des toponymes la rattachent à la province de Coixtlahuaca, avant poste des puissantes seigneuries mixtèques, au sud de Tepeaca…

Le document adopte le format des livres de peintures méso-américains : une bande de 2,24 mètres de long en peau de cerf. La beauté et le raffinement des couleurs tranchent avec la simplicité du tracé des figures, à l’exception du personnage espagnol et de son cheval. Cette simplicité pose la question de la datation. Le document est nécessairement antérieur à 1743, date de sa mention dans l’inventaire du Musée indien, l’extraordinaire corpus réuni par Lorenzo Boturini. Certains pictogrammes seraient caractéristiques de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle. Joaquín Baranda, ministre de l'Instruction publique sous Porfirio Díaz, sortit ce codex de l'oubli et en confia la conservation à la Bibliothèque nationale d’anthropologie et d’histoire (BNAH).

El Marqués del Valle

Le personnage barbu revêt un costume de style renaissance qui épouse la forme d’une armure, archétype du costume masculin ibérique aristocratique aux XVIe et XVIIe siècles. Il se compose des pièces suivantes : une chemise, une veste matelassée à manches courtes (un pourpoint), des chausses élargies sur les hanches généralement fixées à l'aide d'aiguillettes, de cordonnets ou de rubans, des bas de soie et des bottes en cuir. Les couleurs chatoyantes signalent des tissus précieux tels que le brocart et le taffetas. L’homme porte un chapeau à longues plumes rouge et bleue, des moustaches pointues relevées sur le côté et une barbe en forme de bouc, laquelle fait immanquablement penser, dans le contexte méso-américain, à Quetzalcoatl.

Il s’agit de Cortés représenté en Marqués del Valle, premier titre nobiliaire expédié en Nouvelle-Espagne qu’il arbore depuis 1529.

Le glyphe du cheval

Le dessin du cheval qui se tient derrière le marquis est, comparativement à d’autres documents du même type, très détaillé. Il ne s’agit pourtant d’une représentation dont la finalité aurait été d’être figurative - qui est donc ici le résultat du talent du tlacuilo, le peintre-scribe indien, mais bien un signe qui se lit. 

Il s’agit d’un cheval à la robe palomino, qui se dit bayo dans les sources du XVIe et du XVIIe siècles, était rare mais proportionnellement mieux représentée parmi les chevaux d’origine ibérique. Il est richement harnaché : des étriers triangulaires à plancher, une selle à arçon avec un pommeau légèrement plus haut que le troussequin, une croupière qui passe sous la queue du cheval et un caparaçon (une couverture) orné du motif d'un soleil sur la croupe. Le harnais de tête se compose d’un frontal, d’une muserolle et de branches métalliques qui agissent comme des bras de levier faisant exercer au canon une forte pression sur la bouche du cheval. Les étriers triangulaires à plancher signalent un type d’équitation légère, en suspension : la jineta. 

Le terme dériverait de “zenata”, nom éponyme d’une tribu berbère célèbre pour l’élevage des chevaux. C’est pour leurs extraordinaires aptitudes équestres que les cavaliers zénètes avaient participé comme mercenaires et cavaleries légères d’élite aux affrontements qui jalonnent l’histoire médiévale de la péninsule ibérique pendant al-Andalus (par exemple dans l’armée omeyyade au Xe siècle) et la Reconquête. Les zones frontalières entre les royaumes chrétiens et musulmans furent le théâtre d’échanges culturels séculaires si bien qu’au début du XVIe siècle, les conquérants cavaliers excellent dans l’art de monter à la jineta

Il s'agit d'un harnachement coûteux : les pièces en cuir sont représentées dans des tons rouge-orangé-jaune, celles en métal en bleu. Notons au passage que le cheval est ferré. Bleu, rouge : l’association n’est pas anodine et renvoie dans le contexte méso-américain à la dyade eau-feu, la guerre. Il est donc possible d’identifier la monture comme cheval de guerre. La présence de l'arquebuse renforce la fonction symbolique guerrière.

 

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