Si le Génie de la lampe m'avait proposé lors de mes années de recherches un outil qui me permettrait d’explorer le Codex de Florence dans son intégralité avec agilité, j’aurais été comblée. S’il m'avait dit qu’en plus, il existait une traduction complète en espagnol du texte nahuatl, je l’aurais supplié de m’y donner accès. Une plateforme numérique pour explorer le Codex de Florence, vous l’aurez compris, c’est le Graal absolu !
À “mon époque”, il était possible de consulter le fac-similé du manuscrit. À Mexico, toute bibliothèque qui se respecte en possède au moins un exemplaire. C’est la seule façon d’accéder à l’intégralité des images - plus de deux mille -, reproduites par ailleurs partiellement dans de nombreux ouvrages.
Si chaque vignette est unique, il est indispensable de pouvoir situer chacune d’entre elles à l’intérieur d’une séquence, comme autant d’arrêts sur images. Mises bout à bout, elles forment la pellicule d’un film en noir et blanc avec un nombre conséquent de planches aux couleurs éclatantes, comme ces chefs- d’oeuvre du septième art en Technicolor.
Il existait des éditions de poche du texte en espagnol connu comme “La Historia general de las cosas de Nueva España”. Cependant, l'Histoire générale ne constitue qu’un résumé du texte original. Situé sur la colonne de droite, ce dernier fut rédigé en nahuatl, l’une des langues indiennes les plus répandues au Mexique à l’arrivée des Espagnols.
Lingua franca, la langue nahuatl servait notamment dans le cadre d’échanges marchands et diplomatiques, du Nouveau Mexique au Costa Rica. De nombreux toponymes gardent la trace de cette mémoire séculaire.
Langue parlée au quotidien par les habitants de Mexico et de nombreuses cités-états de l’Altiplano, elle est aussi la langue des lettrés, des savants et des scientifiques. D’une très grande richesse lexicale, elle regorge aussi de ressources littéraires, tel le procédé par lequel deux mots accolés forment un concept nouveau. Par exemple “atl-tlachinolli”, “l’eau-le feu” renvoie à la guerre fleurie et au sacrifice. Il n’en fallait pas moins (ni plus) pour séduire les religieux franciscains imprégnés de culture humaniste. N’oublions pas que les humanistes sont d'abord d’éminents linguistes. Nul, mieux qu’eux, n’aurait pu entreprendre la tâche titanesque d’inventorier les choses du monde Méso-Américain avant qu’il ne disparaisse à jamais.
En ces années 1575-1577, Bernardino de Sahagún, au crépuscule de sa vie, sait que le temps presse : d’abord parce que Philippe II a ordonné la confiscation des douze volumes et surtout parce qu’une nouvelle épidémie de variole décime les populations indiennes déjà bien éprouvées après celle dévastatrice de 1546. Les fantômes rôdent dans les couloirs du cloître du Collège impérial de la Santa Cruz de Tlatelolco - à deux pas de la place où les Aztèques se rendirent aux Espagnols le 13 août 1521 -, où il parachève, entouré de ses étudiants et des peintres - tlahcuiloque - la version finale du manuscrit.
Le texte nahuatl s’appuie sur des sources de première main collectées à partir de 1547 auprès d’informateurs indiens, de savants et de sages - tlamatimine - et représente à ce titre un témoignage inestimable.
Sauf que, jusqu'à récemment, il n’existait que des versions en anglais du texte nahuatl, dont celle iconique de Charles E. Dibble and Arthur J. O. Anderson (1963), ce qui permet de souligner au passage l’excellence de l’école américaine.
Une édition en espagnol s’imposait. Ce n'est pas une mince affaire ! À titre de comparaison, nous tardions une heure pour traduire une phrase lors des cours de nahuatl classique généreusement dispensés par le Maestro Rafael Tena au Musée d'Anthropologie de México. Le manuscrit compte 2500 pages environ…
La plateforme numérique tombe à point nommé. À lire sans modération !
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