La quarantième page du Codex Borgía, l’une des plus belles et des plus significatives du manuscrit mexicain plié en accordéon, montre la lutte cosmique à l'œuvre le 8 août 1496. Vers 15h36 une éclipse de soleil totale plongea le monde dans les ténèbres. “Il faisait aussi sombre que la nuit profonde, on pouvait voir les étoiles avec une clarté totale”, rapporte Domingo Chimalpahin, le grand chroniqueur nahua. Quelle belle antithèse ! La voûte céleste diurne soudain éclairée par la nuit permet notamment de voir Vénus à proximité du soleil.
“Il faisait aussi sombre que la nuit profonde, on pouvait voir les étoiles avec une clarté totale”
Sur
l’image l’astre solaire disparaît dans l’ombre d’une créature qui
semble, telle une peau d’animal, clouée sur la voûte du ciel. Son pelage
sombre et parsemé d’étoiles la rattache au monde nocturne qui est aussi
celui du symbolisme sacrificiel. D’ailleurs, des petits hommes en noir
extraient le coeur palpitant de neuf disques solaires, autant
d’émanations du jour. Le sang gicle.
Vénus
est associée à Quetzalcoatl, le serpent aux plumes de Quetzal, dont
elle porte les insignes : la paire de boucles d’oreilles en coquille
incurvée, la coiffe “serpent de feu”. Ainsi, au moment culminant de
l'éclipse, Vénus apparaît-elle aux côtés du soleil dans le ciel
occidental. Vision déconcertante. En effet, plus tôt dans la journée,
peu avant le lever du soleil, Vénus achevant son périple en tant
qu’étoile du matin, faisait une dernière apparition dans le ciel
oriental.
C’est
bien le cycle synodique de Vénus qui intéresse les tlacuiloque, les
peintres-scribes nahuas du Codex Borgia, qui se compose, sous ces
latitudes, de quatre phases : étoile du matin (orient), disparition en
conjonction supérieure, étoile du soir (ponant), disparition en
conjonction inférieure. Ce cycle d’apparition et de disparition dure 584
jours.
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